C’est dans un local sis à boulevard Allal El Fassi, en plein centre-ville de Oujda que nous allons à la rencontre de l’Association de la coopération, du développement et de la culture (ACODEC) bénéficiaire du Programme Régional des Initiatives de la Migration.
Najat et Adil, respectivement assistante sociale et chargé du projet « Moussada wa idmaje al mouhajir » (Aide et intégration des migrant-e-s) nous accueillent dans un bureau orné de tableaux réalisés par les bénéficiaires du projet et/ou leurs enfants. Une belle exposition qui est l’expression même du vivre ensemble.
« ACODEC est une association locale créée en 1999 sous le nom d’association de développement de Oujda. Elle a grandi et a élargi ses compétences au fur et à mesure pour répondre aux besoins des communautés qui habitent la ville et la région. Aujourd’hui, ACODEC intervient sur différentes questions de développement démocratique notamment la question migratoire » nous explique le président de l’association M. El Miloud Rezzouki.
Le projet « Moussada wa idmaje al mouhajir » est articulé autour de 3 axes d’intervention : la scolarisation des enfants dans les écoles publiques, la formation et sensibilisation des institutions et organismes de la société civile dans les thématiques de la migration et le genre et la formation socioprofessionnelle pour les migrant-e-s.
90 acteurs régionaux sensibilisés à la question migratoire et à la stratégie nationale y relative
« Notre projet s’inscrit dans les dispositions de la constitution et des stratégies migratoires, notamment la Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile qui a 4 objectifs : la facilitation de l’intégration des immigrés, la mise à niveau du cadre réglementaire, la mise en place d’un cadre institutionnel adapté, la gestion du flux migratoire dans le respect des droits humains. » détaille M. El Miloud Rezzouki. « C’est dans ce sens que nous avons organisé 3 sessions de formation de deux jours chacune au bénéfice de 30 personnes par session. Dans chaque session, 10 acteurs de la société civile, 10 représentant-e-s des élu-e-s et fonctionnaires des Collectivités territoriales de la préfecture de Oujda Angad, 5 agents communautaires et 5 assistantes sociales de l’Entraide Nationale y ont pris part » ajoute le président de ACODEC.
L’objectif de ces sessions de formation, dont ont pu bénéficier 90 acteurs régionaux, est de vulgariser et sensibiliser les acteurs aux engagements constitutionnels du Maroc et à la stratégie adoptée. Cette approche n’a pas manqué d’avoir un impact immédiat sur la mise en œuvre du projet de façon à permettre à ces personnes formées de devenir acteurs exécutants du projet.
Ahmed Achour, un des bénéficiaires de la formation représentant ‘l’espace de la participation démocratique’ qui est un réseau associatif de 13 acteurs de la société civile a pris part à ces formations. ‘L’espace de la participation démocratique’ est un espace de coordination et de concertation des acteurs relatif aux questions au niveau local. « Nous travaillons principalement avec la commune », indique Monsieur Achour. « Nous avons, à travers la formation, pu connaître les engagements du Maroc sur la question migratoire et être sensibilisés aux cultures des communautés accueillies. C’est une des premières bases du vivre ensemble. Rien que le fait de rencontrer les migrants et échanger avec eux, nous changeons automatiquement notre regard et nos perceptions sur la question », s’exprime M. Achour pour nous faire part de l’apport de cette dynamique de formation.
22 filles et garçons scolarisé.e.s
S’il y a quelque chose pour laquelle les migrant-e-s viennent chercher Najat, l’assistante sociale de ACODEC, c’est bien l’urgence de scolariser leurs enfants. C’est comme ça que Cristelle, 34 ans, arrivée du Congo en 2010, a pu se mettre en contact avec l’association. « Mon fils a été mal traité dans sa première école et je suis venue en urgence pour qu’on lui change d’école pour le mettre dans une autre école où il pourra être accueilli sans problèmes. Cela a été fait grâce à la mobilisation de l’association. Crispy est aujourd’hui en 4e année primaire », indique-t-elle fièrement. « Kanekra arabia, farancia, wa tarbia islamiya » (j’apprends la langue arabe, le français et l’éducation islamique) s’exprime l’enfant dans un Darija sans accent, renforcé par un hochement de tête et un « Ouah ! » (Oui dans le dialectal de la région), pour répondre à la question relative à la satisfaction de sa nouvelle école, en signe d’une intégration totale dans la culture locale.
C’est le cas également de la famille de Mohamed Fadiga, un guinéen de 31 ans père de 5 enfants et responsable de sa nièce. La famille Fadiga est arrivée au Maroc en 2013 avec deux enfants nés en Guinée et trois autres sont nés au Maroc. « Depuis qu’on a rencontré ACODEC, tous mes enfants sont rentrés à l’école. Et à chaque fois qu’il y a problème à l’école, avant de nous appeler, ils appellent ACODEC, Mme Najat est celle qui vient à notre secours » déclare Mohamed avec reconnaissance », « En plus les enfants ont de bonnes notes » ajoute-t-il dignement.
30 personnes formées en électricité et couture
Faciliter l’intégration des migrants qui est un des objectifs de la SNIA passe indubitablement par la formation professionnelle. C’est dans ce sens que ACODEC a programmé, dans le cadre du projet, deux types de formation pour les migrant-e-s, une en électricité qui cible essentiellement les hommes et une formation en couture qui a ciblé les femmes.
« Je suis arrivé il y a dix ans à Oujda, je ne pouvais pas suivre de formations, explique le bamakois de 39 ans, Cooper. Nous sommes heureux que les associations interviennent sur la question migratoire. Par exemple, ACODEC. Aujourd’hui nous avons des “diplômes”, nous sommes déjà compétitifs dans le marché de l’emploi. Je l’applaudis pour cela, je considère que c’est salutaire ».
Cristelle, une camerounaise de 32 ans arrivée au Maroc en 2018, dont la fille Lalessa, née au Maroc, a pu être inscrite à l’état civil et mise sur les bancs de l’école, a également pu suivre la formation de couturière. « Maintenant je sais coudre avec la machine à pédale ou électrique. Je sais faire des jupes, des robes, des tabliers pour enfants. Mais malheureusement je n’ai pas les moyens pour me lancer pour mon propre compte en achetant le matériel où travailler ailleurs n’ayant pas de titre de séjour » explique-t- elle.
Malgré l’impact positif de la formation sur la cible, l’intégration dans le marché de l’emploi s’avère un peu plus compliquée qu’imaginée au départ du projet. D’un côté pour la question des stages -volet pratique de la formation théorique- et d’un autre côté en raison de la réticence du secteur privé à accueillir ces migrant-e-s, en l’absence de carte de séjour. « C’est ce que nous souhaitons approfondir dans le prochain projet : la sensibilisation et l’implication du secteur privé » explique le président de l’association M. El Miloud Rezzouki.
ACODEC a pu réfléchir et mettre en œuvre un écosystème d’intégration des migrant-e-s en essayant de répondre aux différents besoins de ces derniers, hommes et femmes. Elle a mis en place une prise en charge des enfants, notamment l’accès aux classes maternelles et à la scolarisation, pour permettre aux parents de se libérer pour la formation, et sensibilisé les acteurs régionaux pour mieux interagir avec les questions et défis que posent la question migratoire.
« Aujourd’hui, nous avons besoin d’une implication réelle des instances locales, notamment les instances consultatives. Nous avons travaillé avec l’instance de l’Équité, de l’Égalité des Chances et de l’Approche Genre de la commune de Oujda pour déposer un avis consultatif afin d’intégrer la question migratoire sensible au genre dans les plans d’action communaux (PAC) et les plans de développement régional (PDR). Il s’agit de programmer des mesures précises et budgétisées qui répondent à la SNIA, afin que notre contribution ait plus d’impact sur le terrain » développe le président de l’association.
Najat ajoute que « malgré ces efforts, nous avons encore deux défis, le premier est relatif au budget de transport que nécessitent les migrants qui habitent souvent loin pour assister aux formations et le deuxième est relatif au cadre institutionnel dont la carte de séjour est la pièce maitresse qui débloque tous les problèmes ». C’est le cas de la Nigérienne Lovette, mère de 5 enfants (tous scolarisés) qui vit au Maroc depuis 14 ans. Elle a vécu en forêt 5 ans avant d’avoir le papier en or, dans le cadre de la vague de régularisation, pour intégrer la société, pouvoir louer un appartement et vivre dignement.
« Nous venons ici avec beaucoup de questions et nous ne savons pas de quoi est fait le lendemain, nous vivons avec nos peurs… L’éducation et la formation viennent nous apporter une réponse, mais la réponse est encore, un peu, en cours de construction… » conclut Cooper.